Ethniques, toponymes, gentilés : réseaux dérivationnels et enjeux socio-politiques

Publié le 8 janvier 2018 Mis à jour le 20 mars 2018
le 1 février 2018
14h-16h
Salle E412

Michel Roché, CLLE ERSS - Séminaire CLLE-ERSS

La recherche qu’on se propose de présenter a trois objectifs :

(1) Pour constituer les bases de données indispensables à une description du lexique, faire un inventaire des formes que peuvent prendre en français, quand elles sont réciproquement construites, les trois catégories de noms que sont les ethniques (les « noms de peuples »), les toponymes (noms de pays et noms de villes) et les gentilés (les « noms d’habitants »).

(2) Pour faire avancer la réflexion sur les modèles morphologiques, décrire les réseaux que constituent ces différents termes quand ils appartiennent à une même famille dérivationnelle. Il apparaît de plus en plus, en effet, qu’on ne peut pas rendre compte de la construction des lexèmes en la réduisant à une relation binaire et unidirectionnelle entre une base et un dérivé, formalisée dans une Règle de Construction des Lexèmes. Cette approche bute sur un certain nombre de difficultés : comment russe peut-il être l’adjectif de relation renvoyant à Russie (dans la plaine russe, par exemple) ? dans le couple Argentine / Argentin, quelle est la base, quel est le dérivé ? Replacer les différents termes dans les réseaux dérivationnels permet d’expliquer nombre de phénomènes : effets systématiques de recyclage des mêmes formes, configurations atypiques, etc.

(3) Pour explorer la dimension sémantique et les enjeux socio-politiques de ce secteur du lexique, mettre en évidence les lacunes parmi les termes qui devraient occuper les cases du réseau. On constate, en comparant les différents cas de figure et en observant des énoncés (« On est marocains de nationalité française », par exemple), que ces cases correspondent à des besoins de nomination différents. Or souvent un terme manque, et un ethnique est repris comme gentilé (Turc ‘de Turquie’) ou bien un gentilé comme ethnique (Français pour ‘Français de souche’). Avec des conséquences qui débordent évidemment le cadre de la linguistique. Mais, à condition de revisiter les définitions admises (« noms de peuples » et « noms d’habitants » sont trop réducteurs) et de soumettre à la même critique celui de « communauté », qu’on leur ajoute ou qu’on leur substitue, la morphologie peut apporter un utile éclairage à ces questions éminemment sensibles. On s’autorisera à ce sujet une excursion dans l’anglo-américain, pour les expressions révélatrices Italian American, Chinese American, etc. Et une autre dans les noms de langues et les noms de religions, qui s’introduisent dans le système pour ne pas le simplifier.

            Dans la première heure du séminaire, on se limitera aux ethniques et aux gentilés associés aux noms de pays, comme dans les exemples ci-dessus. Dans la deuxième, on élargira la question aux noms de villes, qui compliquent la mécanique dérivationnelle quand un gentilé est utilisé comme nom de pays (Beaujolais, Cambrésis), quand le nom de pays est construit sur celui d’une ville (Algérie) ou l’inverse (Brasilia), quand un même gentilé sert pour les deux (Poitevin habitant de Poitiers ou du Poitou), etc.