Thèse Graziella Couasnon

11 juillet 2016 - 13h30
Maison de la Recherche (anciennement Maison des Pays Ibériques) de l'Université Bordeaux-Montaigne

Titre : « Cul et chemise », « Modes et travaux », « Émilie et Nathan » : étude des principes gouvernant la coordination par «et» de deux mots en français

Direction : Laurence LABRUNE, Professeur, Université Bordeaux Montaigne

Jury de thèse :

Hélène GIRAUDO, Chargée de recherche HDR au CNRS, Université Toulouse Jean Jaurès (Examinatrice)
Haike JACOBS, Professeur, Université Radboud (Rapporteur)
Frédéric LAMBERT, Professeur, Université Bordeaux Montaigne (Examinateur)
Vincent RENNER, Professeur, Université Lumière Lyon 2 (Rapporteur)


Résumé :

Ce travail de thèse a pour objectif l’étude des principes gouvernant la coordination par « et » de deux mots en français. Il a pour but de rendre compte l’émergence de facteurs actifs dans la sélection d’un ordre préférentiel de coordination binaire directe par « et », hors contexte, dans une visée essentiellement phonologique ; et ainsi de tenter d'en proposer une pré-hiérarchisation en français.Dans cette étude, nous appréhendons les principes qui déterminent l'ordre des éléments dans des binômes du type « Cul et chemise », « Modes et travaux » ou « Émilie et Nathan ».
Il apparaît que pour ces exemples, l'ordre présenté ici est l'ordre préférentiel en français. On préférera, en effet, « Cul et chemise » à « Chemise et cul », « Modes et travaux » à « Travaux et modes » et « Émilie et Nathan » à « Nathan et Émilie » ; il est clair que les locuteurs natifs privilégient souvent spontanément un ordre à un autre dans ce type de formations, et/ou qu'ils jugent plus naturelle que l'autre l'une des deux combinaisons possibles.
Partant de ce constat, la question qui se pose est de savoir quels sont les facteurs qui régissent l'ordre de ces constituants en français. Peut-on assigner la sélection intuitive d'une séquence binomiale coordonnée à des facteurs morphologiques, syntaxiques, sémantiques, culturels, sociologiques, ou autres ? Et qu'en est-il des contraintes phonologiques jusqu'ici largement négligées en français ?
Pour répondre à ces questionnements, dans une première étape, nous avons construit des supports d'étude nous permettant de relever des données statistiquement validées par un test d'ajustement.
Ce que nous appelons support d'étude est en fait un ensemble de six corpus et de six questionnaires d'enquêtes que nous avons mis en place afin de recouvrir le panel le plus représentatif possible des composés syndétiques directs par « et ». Le principe premier de nos supports d’étude est que chaque composant, bien qu’autonome, demeure étroitement lié aux autres. Ainsi, les six corpus s'articulent les uns avec les autres : TOM ET ZOÉ est un corpus de prénoms coordonnées par « et », TARN ET GARONNE relève des toponymes, CUL ET CHEMISE, des expressions figées, ARTS ET MÉTIERS, des noms d’institutions, d’écoles, VITE ET BIEN, des collocations dans le sens statistique du terme et LISSE ET SOYEUX des allégations publicitaires.
Parallèlement, les questionnaires d’enquêtes découlent de cet ensemble. Ils sont tous les six issus de l’exploitation des premiers résultats fournis par le corpus TOM ET ZOÉ.
Une fois affranchi de l’aspect méthodologique de notre travail, nous avons organisé l’exploitation de nos données en définissant une liste de critères classificatoires. Ces critères nous ont permis de mettre au jour deux types de résultats : des résultats extraphonologiques et des résultats phonologiques.
Ainsi, dans une seconde étape, nous avons révélé la prégnance de facteurs extraphonologiques tels que le facteur sériel, le facteur morphologique, les facteurs sémantiques, les facteurs psycho-affectifs et le facteur associant la fréquence des mots à leur position dans la séquence binomiale coordonnée.
Ces cinq facteurs ne jouent pas le même rôle.
Si les facteurs sériels et les facteurs morphologiques peuvent être l’artefact de facteurs phonologiques comme le facteur de taille, les facteurs sémantiques, les facteurs psycho-affectifs et les facteurs liés à la fréquence des mots, quant à eux, ne laissent aucun doute quant à leur prévalence. Ils sont tous trois particulièrement actifs dans la sélection d’un ordre préférentiel de coordination.Enfin, dans une dernière étape, nous avons mis au jour un certain nombre de facteurs phonologiques. Il nous est possible d’organiser ces principes dans la sélection d’un ordre préférentiel de coordination en deux grands axes :

  • Les facteurs dans l’absolu ;
  • Les facteurs par rapport à « et ».

Nous nommons « facteur dans l’absolu » tous les facteurs actifs que nous avons relevés qui ne sont pas directement liés à « et ». Nous pensons particulièrement au facteur de taille, aux facteurs extraphonologiques, mais également à ceux positionnant les voyelles finales nasales en M2. Ce sont les facteurs les plus actifs dans la sélection d’un ordre préférentiel de coordination, ce sont ceux qui ont mis au jour les résultats les plus forts.
Selon nous, tous ces facteurs sont des instanciations de l’opposition « marqué / non marqué » dans sa définition universaliste et statistique.
Les « facteurs par rapport à « et » » sont, quant à eux, des facteurs purement phonologiques. L’évitement de *VV, OCP, la maximisation des attaques : tous opèrent par rapport à « et ». Cependant, ils sont moins actifs que les précédents principes.
D’une manière générale, nous pensons que des facteurs phonologiques sont actifs dans la sélection d’un ordre préférentiel de coordination binaire par « et », mais ils semblent de moindre force que les facteurs extraphonologiques.
Afin de les explorer plus en détail, il serait pertinent de mettre en perspective les phénomènes de coordination binaire par « et » en français avec ceux de l’espagnol et de l’italien proposant une alternance « y / e » et « e/ ed ».
Enfin, il nous semble que nos travaux devraient être complétés par une étude de terrain observant les réalisations réelles des binômes coordonnés par « et » en français.