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Quelles formes référentielles selon l’input linguistique : étude de cas « enfants sourds signants avancés vs enfants sourds signants débutants »
Stéphanie Gobet, Laboratoire FoReLLIS, Université de Poitiers - Séminaire ERSS
Le propos de notre présentation consiste à analyser comment les enfants sourds, lors de narrations signées, font référence aux entités, dans les cas de l’introduction et du maintien en position sujet. Pour cela, nous avons mené une étude auprès d’un groupe d’enfants sourds scolarisés en structures bilingues (langue des signes/français écrit) et d’un groupe d’enfants scolarisés en structure oralisante et dont la langue des signes n’est pas la langue principale.
Dans un premier temps, nous décrirons brièvement les caractéristiques linguistiques de la langue des signes, langue pro-drop à modalité visuo-gestuelle. Une deuxième partie sera consacrée à définir comment se manifestent les stratégies référentielles en LS. Le troisième temps développera le protocole qui a servi au recueil de données. Puis une ultime partie présentera les principaux résultats obtenus.
Les travaux sur les LS comme objet linguistique ont connu un essor à partir des années 1970-1980, avec la mise en perspective de la double arbitrarité des LS, en la décomposant en kinèmes (l’équivalent des morphèmes) et chérèmes (l’équivalent des phonèmes). Bien que cette décomposition soit actuellement discutée, cela a permis d’étudier les langues des signes comme des Langues et non plus comme un code. Le statut linguistique des LS, dans l’univers scientifique, est dorénavant reconnu et a permis l’émergence de travaux décrivant la typologie des LS. Pour notre propos, nous prendrons appui sur le modèle sémiologique, modèle développé en France depuis les années 1990 par Christian Cuxac.
Ce modèle propose une théorie selon laquelle, en langue des signes, il est possible de dire selon deux visées : le dire en montrant et le dire sans montrer.
La langue des signes est composée d’unités gestuelles de sens global conventionnel. Leur valeur est générique et elles servent à désigner des objets, des évènements, des concepts abstraits. Ces unités sont l’équivalent des lexèmes des langues vocales et seront dorénavant nommées « unités lexématiques (UL). Les UL peuvent être iconiques ou non (par exemple, l’UL « Chat » est iconique avec un mouvement des mains, avec doigts ouverts, qui part vers l’extérieur et au niveau de la bouche). Toutefois, ces unités ne constituent pas le cœur de la langue des signes.
Dire en montrant signifie de donner à voir en recourant à des structures de grande iconicité. Ce sont des matrices linguistiques en nombre limité. Cuxac (2000) en a mis trois en évidence : les TP (transfert de personne), le TS (transfert situationnel) et le TTF (transfert de taille et de forme). Ces unités génèrent des unités en nombre illimité et sont porteuses de valeurs spécifiques, en particulier par leur iconicité. Ces unités peuvent être décomposées en paramètres manuels et non manuels qui contribuent à leur sémantisme.
Deux éléments sont linguistiquement pertinents pour établir que le locuteur est en transfert : le regard et l’espace de signation. Ce sont également les éléments qui sont utilisées lors du marquage de la référence.
Pour les LS, l’encodage de la référence se réalise au moyen de structures spécifiques telles que les proformes, les unités de transfert, l’espace de signation et le regard.
La proforme désigne le paramètre manuel ‘configuration’ dans les structures de grande iconicité. Il s’agit d’une forme générique (ex : forme plate), mais en contexte, elle vise à spécifier une forme particulière, « cette forme-là ». Du point de vue syntaxique, la proforme permet de reprendre des éléments du discours et a un rôle anaphorique. Elle est une forme qui ne peut se réaliser que dans l’espace de signation. Dans ce dernier, la scène n’est pas donnée à voir telle qu’elle est vécue, ce qui est reflété ce sont les relations entre les actants. L’espace est donc utilisé de manière pertinente, le rôle du regard est essentiel (couplé ou non avec le pointage). Il instancie les différents actants et patients, présents ou non. L’accrochage des regards permet d’instaurer les atouts et leur fonction pronominale (instanciation des systèmes de la personne). L’utilisation de l’espace est donc fondamentale en LS, en particulier pour refléter la cohésion du discours.
Concernant le protocole, les données ont été recueillies auprès d’enfants sourds scolarisés dans des établissements scolaires différents (avec présence ou non de la langue des signes). Deux groupes ont été constitués : les signants avancés et les signants débutants. Les enfants ont entre 10 et 14 ans, leur surdité est sévère ou profonde et prélinguale, sans handicap associé.
Le récit en langue des signes est induit par un dessin animé (« Reskio ») muet mettant en scène un chien et son maître. Les enfants visionnent le film puis doivent le raconter en LS à un interlocuteur qui ne connaît pas ce dessin animé.
Les analyses portent sur les formes linguistiques employées par les enfants pour introduire et maintenir les protagonistes en position de sujet.
Pour introduire un personnage dans une narration, les enfants, quel que soit leur niveau en LS, emploient majoritairement des unités lexématiques (« chien », « garçon »). Il est intéressant de noter que les enfants signants avancés utilisent un nom signe (l’équivalent du prénom en LV). D’autre part, nous pouvons noter que les enfants signants débutants et les plus jeunes enfants signants avancés n’introduisent que le personnage chien, qui représente le personnage principal.
A propos du maintien, les résultats attestent que les enfants sourds signants avancés emploient différentes formes pour la fonction de maintien : des unités lexématiques (selon si la dernière mention du protagoniste est éloignée ou non), des unités de transferts de plus en plus complexes selon l’âge et l’input en LS. Concernant le groupe d’enfants scolarisés en structure oralisante, il apparaît un emploi massif des unités lexématiques, à savoir que le protagoniste principal est repris par une forme nominale, en plus d’une oralisation. De plus, pour ce même groupe, nous constatons que les gestes se réalisent au niveau des pieds ou des jambes, à savoir en dehors de l’espace de signation. Les signes réalisés se rapprochent des « homesigns » observés Fusellier (2004)
Selon l’input linguistique, les formes linguistiques divergent : qualitativement et quantitativement, les unités de transfert sont fréquemment employées par les locuteurs signants alors qu’elles se manifestent plus tardivement par les locuteurs non-signants.
En conclusion, les résultats attestent d’une différence de traitement du système anaphorique en LS en fonction de l’âge des sujets mais aussi en fonction de la présence de la LS selon si elle est langue principale ou langue seconde.
Bibliographie :
• Cuxac, C. (2000), La langue des signes française, in Faits de Langues, Paris, Ophrys.
• Fusellier-Souza, I., 2004, « Sémiogenèse des langues des signes. Primitives conceptuelles et linguistiques des Langues des Signes Primaires (LSP). Étude descriptive et comparative de trois LSP pratiquées par des personnes sourdes vivant exclusivement en entourage entendant », Thèse de doctorat, Université Paris VIII, Saint-Denis.
• Jacob, S. (2001), La cohésion référentielle dans des productions écrites des enfants sourds, Mémoire de DEA, Université Lumière Lyon 2.
• (2003), « L’acquisition du langage par l’enfant sourd », Nouvelle Revue AIS 23.
• (2007), Description des procédés référentiels dans des narrations enfantines en Langue des Signes Française : maintien et réintroduction des actants, Thèse Doctorat, Université Paris 8.
• Klima, E. & Bellugi, U. (1979), The Signs of language, Cambridge, Harvard University Press.
• Lidell, S. K, (2003) Grammar, Gesture, and Meaning in American Sign Language. Cambridge: Cambridge University Press.
• Sallandre, M. A., 2003, Les unités du discours en Langue des Signes Française : tentative de catégoristation dans le cadre d’une grammaire de l’iconicité, Thèse de doctorat en sciences du langage, Université Paris VIII.
· Watorek, M., 2004, « Construction du discours par des enfants et des apprenants adultes », Langages, no 155.