Finales et structure syllabique en aquitanopyrénéen

Publié le 20 juin 2018 Mis à jour le 3 septembre 2018
le 13 septembre 2018
14h - 16h
Salle E412

Vincent Rivière (Congrès permanent de la langue occitane, membre associé CLLE-ERSS)

Le traitement de finales est un des éléments qui permet de mieux dessiner l’ensemble linguistique occitan tout en analysant sa variété. Ainsi Ronjat propose la description suivante :

En sillabe tonique, la conservation des consonnes finales est beaucoup plus fréquente : -l reste ou devient –u, rarement –r, sauf –Ø dans plusieurs parlers du N. (Ronjat 1932 : 267)

 

1.    Tolérance des finales

Le traitement des obstruantes m’intéresse particulièrement. Bec définit trois grands ensembles, « l’arverno-méditerranéen » (AM), « l’aquitano-pyrénéen » (AP), et « l’occitan central ou moyen » (OC). Pour ces trois derniers, il décrit précisément la « Conservation des consonnes finales et de –s pluriel ». (Bec 1963 : 52).

Sauzet analyse de façon précise la variation de ces finales sur l’espace AM en s’appuyant sur la permissivité de la structure syllabique de cette langue. La variation qui est mise en exergue permet justement de préciser la diversité de cet espace linguistique. Sont ainsi comparés les formats syllabiques niçard, provençal, languedocien oriental et languedocien occidental. (Sauzet 2004)

Dans ce cadre, je tâcherai d’analyser, en me basant sur de nombreux exemples collectés auprès de locuteurs de langue maternelle occitane, le fonctionnement du gascon oriental, notamment à partir de la zone de la Communauté des communes de la Gascogne Toulousaine où la langue occitane est encore pratiquée relativement régulièrement. Cette étude permettra de compléter les analyses déjà réalisées sur l’ensemble du domaine occitan représentées dans le tableau ci-dessous.

 

sal

lop

sèrp

Gascon oriental

[s'aw]

[l'up]

[s'ɛrp]

Languedocien occ.

[s'al]

[l'up]

[s'ɛrp]

Languedocien or.

[s'al]

[l'up]

[s'ɛr]

Provençal

[s'aw]

[l'u]

[s'ɛr]

 Le format syllabique du gascon oriental, comme le tableau l’indique, bien qu’à partir d’exemples significatifs restreints, semble avoir de nombreuses similitudes avec le languedocien occidental, ce qui conforte la classification supradialectale de Bec (1963) et de Sumien (2009).

Au-delà de la vocalisation de latérale [l], les occlusives finales post-vocaliques sont maintenues.

Afin d’affiner le format de la syllabe gasconne orientale et ses contraintes, j’étudierai cette dernière au pluriel tâchant d’expliquer pour quoi les phonèmes /b/, /p/, /d/, /g/ et /k/ en coda au singulier se réalisent comme nous attendons le pluriel de /t/ : [t͜s].

Le statut particulier du morphème du pluriel permettra d’expliquer un phénomène particulier en sandhi.

  

2.    Strcucture syllabique en sandhi

Suite à différents collectages en gascon oriental et languedocien occidental (dans la zone de l’article le), Gers et Ariège notamment, complétés par une consultation des atlas linguistiques, je me suis interrogé sur les formes des contractions de l’article le au pluriel, dans un premier temps, avec préposition. La forme dels/deus réalisée indistinctement [des], alors qu’elle se réalise [del] au singulier côté languedocien et [du] côté gascon, a attiré mon attention et m’invita à penser que l’article défini devait être déterminant. Je me suis ensuite aperçu que cette réalisation était présente sur un espace géographique plus large que celui de l’article, notamment au nord de Toulouse en zone de l’article lo, plus au sud en zone de l’article eth.

Je pose donc l’hypothèse suivante, c’est la structure syllabique qui va conditionner cette réalisation dans le sens où la permissivité de la syllabe dans cette zone ne laisse qu’une position dans laquelle le morphème du pluriel est prioritaire. Je tâcherai donc de démontrer qu’un continuum existe, notamment en contraction au pluriel, relativement étendu au-delà de la forme de l’article défini (lo/le/eth), et des dialectes (gascon/languedocien).

G.or e L.oc relèvent donc d’un modèle où il faut clairement admettre que la finale dépasse le format syllabique régulier (les syllabes intérieures étant supposées régulières). Cela peut s’expliquer d’une part par des syllabes a noyaux nuls, d’autre part par une conception récursive de la syllabe qui peut être schématisée de la façon suivante :

 mot = (syllabe)*+ (Consonne facultative)

Cela rejoint la formule proposée pour le français dans Dell 95. Certaines finales sont ainsi des attaques d’une syllabe à noyau nul :

a)         [lˈup] : (lu)(p∅)                                   b)         [sˈɛrp] : (sɛr)(p∅)

L’hypothèse du noyau nul explique que la particule excédentaire soit une attaque. Cela assure que la particule qui s’ajoute à la séquence des syllabes canoniques est la première partie d’une syllabe bien formée. Le mécanisme de légitimation pour une syllabe à noyau nul doit être limité pour éviter une suite segmentale incohérente : il faut donc limiter les syllabes (C∅) aux finales. Nous aurons donc au pluriel :

sèrps - [sˈɛrs] : (sɛr)(s∅)

Le morphème du pluriel /s/ occupera prioritairement et systématiquement la position d’attaque en finale à la place des autres consonnes (/p/, /k/, eca).

Le statut d’un substantif et d’un article (d’une préposition et d’une contraction présposition – article) est sémantiquement et syntactiquement différent, étant donné article est dépendant d’un substantif post posé pour exister. De fait, l’article ou la contraction préposition – article seront forcément construits avec des syllabes canoniques, étant donné que l’attaque du mot suivant obligatoire confisquera la position potentielle d’une particule excédentaire. Il n’y aura donc qu’une position possible en coda, et le morphème du pluriel sera prioritaire. En gascon, la forme deu [du] (de + le) est la vocalisation, réduite à posteriori de [del] > [dew] > [du]. Phonologiquement, nous avons bien la consonne /l/ dans l’article [du], de fait, elle ne peut pas être conservée. Toute trace de la consonne historique du latin est donc effacée au pluriel, ce qui permet d’expliquer une seule réalisation.

Avec un système syllabique plus permissif, comme celui du gascon non oriental, typique de l’aquitano-pyrénéen, nous aurons des formes deus [dews]. Au contraire, en provençal, typique de l’arverno-méditerranéen, nous aurons un format moins permissif avec des formes dels [de]. Ainsi, notre hypothèse permet d’expliquer la variation de la contraction de l’article défini sur le territoire occitan.

 

Bibliographie

BEC, Pierre (1963) La langue occitane. Paris: PUF (« Que sais-je? » 4ème ed. 1978), 128 p.

BEC, Pierre (1973) Manuel pratique d'occitan moderne. Paris: Picard, 219 p.

DELL, François (1995) “Consonant clusters and phonological syllables in French.” Lingua 95 5-26.

RONJAT, Jules (1930-41) Grammaire istorique (sic) des parlers provençaux modernes. 4 tomes (1930-32-37-41) Montpellier: Société des Langues Romanes, 423 p., 487 p., 650 p., 192 p.

SAUZET, Patrick (1974) Approches de la phonologie et de la morphologie d'un parler occitan: le dialecte de Sumène (Gard). [Mémoire de maîtrise, Université de Poitiers.]

SAUZET, Patrick (1993) Attenance, gouvernement et mouvement en phonologie. Les constituants dans la phonologie et la morphologie de l'occitan. Montpellier: CEO/UPV 505 p.

SAUZET, Patrick (2004)  Variation des finales occitanes et format de la syllabe » in Trudel Meisenburg & Maria Selig eds. Nouveaux départs en phonologie : les conceptions sub- et suprasegmentales. Tübingen : Gunter Narr, 2004 (p.33-48).

SUMIEN, Domergue (2009) « Classificacion dei dialèctes occitans » in Linguistica Occitana 7 [www.revistadoc.org] 55 p.